Permanence des éléments

 

Arina Essipowitsch, Julie Calbert, Anne-Valérie Gasc, Caroline Le Méhauté, Lou Motin, Coline Jourdan
Du 09 Octobre 2025 au 24 Décembre 2025

« Susciter la pensée, donner envie de penser, peut favoriser le sentiment que quelque chose peut changer ». citation de Vinciane Desprets
(Libération 3 avril 2025)

Ce projet réunit plusieurs artistes qui explorent la question de la présence humaine et de la pérennité de nos traces sur notre milieu.

Il est clair que notre regard n’est pas assez vaste pour embrasser l’ensemble des phénomènes naturels, ce qui explique en partie notre cécité à la dégradation de notre environnement.

Mais ce qui est clair également, c’est le décalage entre notre réalité transitoire et notre capacité de nuisance à long terme.

La permanence des éléments concerne ici à la fois les éléments naturels mais également la permanence de nos constantes humaines, notre capacité à créer autant qu’à détruire.

Pour autant, cette exposition n’est pas une punition mais une invitation à suivre le regard des artistes et leur capacité à observer le monde différemment.  Et à découvrir via leurs propositions, qu’il y a, en tout cas on l’espère, d’autres récits possibles que ceux qui mènent à la catastrophe.

« Susciter la pensée, donner envie de penser, peut favoriser le sentiment que quelque chose peut changer ». citation de Vinciane Desprets

 

LES ARTISTES

Arina Essipowitsch
Née en 1984 à Minsk, vit et travaille à Aix-en-Provence,
Arina est une photographe et sculptrice de l’espace qui interroge la malléabilité des images et leur mobilité permanente. Chez elle, la photographie dépasse la simple représentation pour se transformer en matière, en volume et en expérience, dialoguant directement avec le lieu et le corps du spectateur. L’artiste explore notamment les identités palimpsestes et les paysages évolutifs. Son rapport au médium se réinvente dans chacun de ses projets, alliant la pratique argentique à la volonté permanente de penser la malléabilité de l’image. Ses expositions proposent au public un espace de jeu où les visiteurs plongent dans la matière photographique, invités à faire varier les formes à l’infini. Images pliables, robes photographiques, palimpsestes à déployer ou cubes à manipuler : les œuvres troublent la frontière entre image, sculpture, chorégraphie et interrogent les notions de temporalité, de transformation et l’importance du geste. Arina Essipowitsch joue des échelles et des rapports, entre recto et verso, corps et image, surface et volume. Ses photographies sont souvent parcellaires, toujours agrandies jusqu’à effacer le sujet, transformant peaux en paysages, paysages en abstractions, textures en reliefs. Récemment, elle a intégré des éléments olfactifs à ses installations, renforçant l’exigence d’une expérience sensible et complète de l’art. À travers son œuvre, elle invente une esthétique de la photographie en mouvement : non pas pour fixer le monde, mais pour en déployer la sensibilité, le volume et la présence, en convoquant le corps, l’espace et les sens. Elle est diplômée de l’Université Aix-Marseille I, de l’École Supérieure d’Art d’Aix-en-Provence (DNSEP 2014 avec félicitations du jury) et de l’Académie des Beaux-Arts de Dresde en Allemagne (2017). Son travail a été exposé notamment au Jeu de Paume – Château de Tours, à l’Espace de l’Art Concret (Mouans-Sartoux), au Musée International de la Parfumerie (Grasse), et dans des institutions allemandes telles que la Kunsthalle Nürnberg et Hellerau – Europäisches Zentrum für Zeitgenösische Künste (Dresde). Elle a participé à la 13e Biennale Manifesta et au Festival Photo le mois de photographie grenoble. Ses œuvres font partie de collections publiques importantes en France (FRAC SUD et FCAC Marseille) et à l’étranger.

Julie Calbert
Née en 1985, elle vit et travaille à Bruxelles,
Julie n’utilise pas l’image pour la simple représentation ; elle la façonne comme une matière vivante. Photographe et alchimiste, elle élabore des dispositifs où la surface photographique se transforme, se corrode, s’oxyde ou se recompose, explorant la temporalité et l’instabilité du paysage. Dans ses séries — Pocket Landscape ou Êkhô — l’image se construit lentement, par strates successives, jusqu’à faire émerger des paysages sensibles, instables. Si ses procédés scientifiques et chimiques traversent son travail, ils ne s’expriment jamais comme un simple protocole, mais comme une exploration poétique de la perception et de la persistance du visible. Dans Êkhô, par exemple, Julie Calbert articule tirages, installations et objets, des horizons aux microscopes, des plans généraux aux plus proches textures, construisant des séries où la périodicité et la composition chimique des images deviennent autant d’instruments de lecture et d’émotion. Les teintes — ors, argents, bleu de méthylène, verts oxydés, noirs charbonneux — renvoient au tableau des éléments, à la fois scientifique et sensible. Chaque image résonne, fragmentée et oscillante, comme un paysage qui sourd et vrombit en silence, ponctué de silhouettes féminines qui font vibrer la série. Julie Calbert s’inspire de l’iconographie scientifique en empruntant la classification des planches, lamelles et clichés, tout en cultivant une poétique de la photographie qui dépasse la simple reproduction. Elle pratique une véritable « mise en culture » de l’image : patience, observation, réaction chimique, temps et hasard deviennent les instruments d’une création où l’art et la science se rencontrent. À travers son œuvre, elle invente une esthétique de la fragilité active : non pas détruire ou altérer pour lui-même, mais révéler les passages invisibles entre matière, lumière et mémoire. Son travail a été présenté dans des cadres institutionnels et galeries en Europe, notamment à la Galerie Les Filles du Calvaire à Paris (Dans tes brumes), au Concertgebouw de Bruges et lors des Rencontres de la Jeune Photographie Internationale à Niort (Belgomania). Elle a également réalisé un solo show à la galerie L’Enfant Sauvage à Bruxelles (Êkhô) et est régulièrement invitée en résidence.

Anne-Valérie Gasc
Née en 1975, elle vit et travaille à Marseille, 
Pour Anne-Valérie Gasc, l’art est une stratégie de soustraction. Artificière autant qu’architecte, elle interroge la « pollution additive » de la création contemporaine en concevant des dispositifs qui provoquent, littéralement ou symboliquement, la chute, l’effondrement ou la disparition. Son champ d’action est un espace de forces où la construction et la destruction cessent d’être opposées pour devenir les deux versants d’un même geste. Depuis ses installations explosives jusqu’à ses recherches récentes autour de la robotisation du geste constructif (Vitrifications), Anne-Valérie Gasc élabore une esthétique de la ruine spontanée, de la structure qui s’anéantit en s’érigeant. Si la destruction traverse toute son œuvre, elle ne s’y exprime jamais comme nihilisme, mais comme processus critique. Par la soustraction — qu’elle prenne la forme du retrait, de la combustion ou de l’effacement —, elle explore la possibilité d’une œuvre qui ne s’ajoute pas au monde, mais le vide, l’ouvre, le fissure. Produire moins pour voir autrement. Cette stratégie du retrait s’enracine dans une lecture aiguë du réel : entre Foucault et Tiqqun, Clausewitz et Ballard, Anne-Valérie Gasc inscrit sa pratique dans une pensée de la guerre et du désastre. L’art y devient un champ d’opérations : espace d’observation, de tactique, de résistance. Chaque projet rejoue, sur le mode du laboratoire, la tension entre contrôle et chaos, autorité et effondrement, architecture et explosion. Mais si elle manie la métaphore militaire, c’est pour mieux désarmer : ses ruines sont claires, ses dispositifs précis, presque chirurgicaux. Les œuvres respirent dans la poussière qu’elles produisent. Dans le vacarme des destructions s’installe un silence conceptuel, où perce un souci du commun. L’art, chez elle, n’est plus ce qui bâtit, mais ce qui permet de traverser. Diplômée de l’Agrégation d’Arts Appliqués et titulaire d’une Thèse d’Arts Plastiques de l’Université Paris I, son travail a été exposé dans des lieux majeurs comme le Centre d’art Les Tanneries (Amilly), l’EAC (Mouans-Sartoux) et le CCC (Tours). Ses œuvres appartiennent à plusieurs collections publiques dont le MACBA (Barcelone), le FRAC PACA et l’IAC Villeurbanne. Elle a notamment bénéficié de l’Aide à la production du DICREAM pour Crash Box et a été Lauréate Mécènes du Sud.

Caroline Le Méhauté
Née en 1975, elle vit et travaille à Bruxelles, 
Caroline Le Méhauté explore la lenteur du monde. Chez elle, la matière n’est jamais inerte : elle respire, se transforme, se souvient. L’artiste s’enracine dans la tension entre le temps géologique et le temps humain, mesurant la fragilité de notre propre durée dans les sols, les sédiments, les couches de poussière et de pierre. Travaillant la terre, la pierre, la tourbe ou la fibre végétale, elle compose des installations et des sculptures qui interrogent notre rapport à l’habitat terrestre. Loin de tout romantisme écologique, sa démarche relève plutôt d’une écologie du sensible : il s’agit de redonner voix à la matière, de reconnaître dans la texture du sol la mémoire de ce qui nous précède. Comme l’écrit Septembre Tiberghien, « la terre réactualise sans cesse le passé dans le présent, sans toutefois interrompre son évolution ». Cette phrase pourrait servir de manifeste à l’artiste : ses œuvres abolissent les frontières du temps pour nous placer face à l’épaisseur du vivant. Dans ses pièces, la poussière devient trace, le minéral devient mouvement, le geste devient patience. La sérigraphie réalisée à l’atelier Tchikebe à Marseille — où la poudre de pierre volcanique, déposée sur papier Arches noir, reproduit le sol de la planète Mars d’après une image de la NASA — prolonge cette méditation cosmique sur l’origine et la fin. En confrontant le sol terrestre et celui d’un autre monde, Le Méhauté rappelle que notre matière est toujours en voyage : une migration lente de la roche à la peau, du passé à l’avenir. Chez elle, créer revient à écouter ce que la matière murmure — à accueillir l’invisible travail du temps. Caroline Le Méhauté construit des œuvres qui ne s’imposent pas : elles s’enfouissent, se déposent, se fondent dans le silence du monde. Là où d’autres célèbrent la surface, elle cherche la profondeur. Et c’est sans doute là que réside la puissance rare de son travail : dans cette attention obstinée au sol, à ce qui nous porte, à ce qui demeure quand tout passe. Diplômée de l’École supérieure des Beaux-Arts de Marseille et de l’Université Toulouse Jean-Jaurès, ses œuvres ont été présentées dans de nombreux contextes internationaux, dont la Biennale des Jeunes Créateurs d’Europe et de Méditerranée et Marseille-Provence 2013 — Capitale Européenne de la Culture, et appartiennent à plusieurs collections publiques, dont le Fonds communal d’art contemporain de Marseille.

La sérigraphie présentée est une collaboration avec l’Atelier Tchikebe à Marseille et a été réalisée à base de poudre de pierre volcanique sur papier Arches noir.

Lou Motin
Vit à Paris et est membre de l’atelier Le Sprinkler, à Noisy-le-Sec
Artiste et artisan, Lou Motin sculpte la mémoire avec les débris du monde. Iel fait du geste de récupération et de transformation un acte de projection. Puisant dans son expérience en fonderie, moulage et taille de pierre, mais aussi dans ses lectures, Lou Motin imagine des dispositifs qui réinventent le rapport entre matériau, histoire et écologie. Les rebuts industriels, les fragments oubliés ou les débris de chantiers urbains deviennent sous ses mains des sculptures et installations racontant des fictions visuelles, à mi-chemin entre vestiges et reliques. Ces œuvres interrogent la production contemporaine et son impact environnemental. Les matériaux récupérés sont autant de témoins d’une civilisation en surproduction, transformés en objets museaux pour d’hypothétiques archéologues du futur. La série Fragments du Giec illustre parfaitement cette démarche : des briques industrielles sont gravées d’indéchiffrables suites de 0 et de 1, traduisant en code binaire le dernier rapport du GIEC. Par ce geste, Lou Motin cherche à sauvegarder un savoir vital, tout en le rendant inabordable sans la clé informatique, transformant ces blocs en pierres de Rosette des temps modernes. Si la lecture des œuvres reste volontairement cryptique, la portée critique est limpide : il s’agit de réfléchir à ce que nous laissons derrière nous, à la manière dont le futur pourra percevoir nos traces et nos erreurs. Chaque projet de Lou Motin devient un laboratoire où matériaux, histoire et codes se rencontrent, où le geste artisanal dialogue avec l’idée de patrimoine et d’héritage, dans une réflexion sur la durabilité et l’empreinte humaine. Né·e à Paris, Lou Motin est un·e glaneureuse urbain·e qui a nourri sa pratique de son parcours professionnel en artisanat d’art (fonderie, moulage, taille de pierre). Iel travaille à plein temps en tant qu’artiste depuis 2022 à l’atelier Le Sprinkler, à Noisy-le-Sec. Lou Motin a été sélectionné·e pour le 68e Salon de Montrouge et a participé à une résidence au Bel Ordinaire à Pau en 2025.

 

Coline Jourdan
Photographe, née en 1993, vit et travaille à Plomeur
Coline Jourdan explore le paradoxe des paysages : là où la nature semble intacte, son regard fait surgir l’invisible. Photographe et exploratrice, elle agit comme un dispositif de révélation en infiltrant les traces de l’industrie, la persistance des pollutions, et la mémoire chimique des sols. La perception et la toxicité se répondent dans son travail, traduisant la violence latente à travers des gestes photographiques précis et sensibles. La chimie, qui a d’abord fasciné l’artiste par ses mécanismes de révélation photographique, lui apparaît comme un « pharmakhon » : un poison destructeur contenant en lui-même les moyens d’une remédiation, d’une transformation positive de la matière. Coline Jourdan entretient une relation ambiguë, placée entre l’inquiétude face aux troubles de l’Anthropocène et la fascination pour les mutations plastiques opérées par la chimie. Ce corps-à-corps poétique avec le toxique remet en question le réalisme photographique pour interroger une vision altérée du monde. Depuis plusieurs années, la vallée de l’Orbiel (ancienne mine de Salsigne) est son terrain d’opération pour le projet «Soulever la poussière» : les collines artificielles, vestiges de l’exploitation d’or et d’arsenic, sont documentées aux côtés d’équipes de chercheurs, orientant son regard au plus proche du sol. Dans la même démarche, la série «Les noirceurs du fleuve rouge», initiée dans le bassin du Rio Tinto, résulte de l’immersion de la pellicule dans l’eau acide du fleuve, altérant l’image pour rejouer le conflit entre l’homme et son environnement. Les œuvres, comme les cyanotypes de la série Sublimation réalisés sur des résidus métalliques, sont des fragments de paysage contaminé transformés en matière sensible, oscillant entre abstraction et document, poésie et gravité. Par la manipulation chimique et la matérialité des supports, Coline Jourdan construit une expérience sensible où la photographie devient instrument critique, capable de révéler la fragilité du monde. Son travail a été exposé dans des contextes majeurs, notamment aux Rencontres d’Arles Prix Découverte 2024, au Festival La Gacilly, à la BnF Paris et à C/O Berlin. Elle a bénéficié de soutiens et résidences du Centre Photographique de Marseille, des Ateliers Vortex, des bourses DRAC Normandie et CNAP, et a notamment été en résidence chez SMT Rotarex à Genlis pour développer la série Sublimation.