ALBANT DENUIT #EN MÉMOIRE

Il y a six ans, Alban, Vincent et d’autres étaient au Bataclan pour le concert d’Eagles of Death Metal. Le 13 novembre, Alban Denuit, 32 ans, est retourné les voir au même endroit avec sa compagne, Pascale.

Le rock, Alban Denuit le vivait de manière passionnée et encyclopédique, « de D’Angelo à Queens of the Stone Age », raconte Vincent Péchaud, l’un de ses meilleurs amis. Il le pratiquait, dans un groupe informel. L’écoutait, souvent dans les salles. Le lisait, avalant les biographies de Patti Smith, Neil Young ou Keith Richards.

Le temps qu’il ne consacrait pas au rock, Alban Denuit, artiste et professeur d’arts plastiques à l’université, le passait dans les salles de cours, les bibliothèques et son atelier. « Il était en réflexion intellectuelle permanente. Il se questionnait sur le quotidien, voulait mettre en valeur des choses que nous ne voyons même plus », explique Vincent Péchaud. Les deux trentenaires s’étaient rencontrés à Marmande, au lycée où Ida Bordin, la mère d’Alban, enseignait la littérature. Puis il avait migré vers Bordeaux, à la faculté d’arts plastiques, et enfin Paris, aux Beaux-Arts, dans l’atelier de Giuseppe Penone.

Il en était sorti en 2009 avec les félicitations du jury. Le peintre Marc Desgrandchamps, qui siégeait au jury cette année-là, se souvient « qu’il avait reproduit au stylo bille, à même le mur, une feuille de papier A4, répétée jusqu’à former une seule et même ligne très belle sur toute la longueur de la cloison. » Alban Denuit travaillait en effet sur les normes techniques, les formats, les mesures et la manière dont, de façon inconsciente ou cryptée, elles influencent et normalisent la perception. « Mais son travail, poursuit Desgrandchamps, dépassait ce constat et détournait de manière poétique cet univers normé. »

Ses attaches artistiques et sociales étaient dans la capitale mais, parce qu’on ne vit pas souvent de son art, il était revenu dans son Sud-Ouest natal, où l’université Bordeaux-Montaigne lui offrait la possibilité de donner des cours. Un travail essentiellement alimentaire tant « toute sa vie était tournée vers sa production artistique », assure son ami.

Dans le fil de sa réflexion, il avait soutenu en juillet sa thèse, « Du canon artistique à la norme industrielle, une forme sculpturale au cœur du quotidien »Ses sculptures et installations contemporaines « questionnent les normes qui règlent les dimensions et les formats des objets les plus divers du quotidien », résume la galerie bordelaise Eponyme, qui exposait ses œuvres, à base d’objets et de matériaux du quotidien, détournés jusqu’à devenir énigmatiques. « Ce n’était pas un artiste contemporain cynique, comme il y en a parfois. Il était très minutieux, n’a jamais versé dans la facilité », explique Vincent Péchaud, admiratif.

Clément Guillou
Rédacteur, journaliste
et
Philippe Dagen
Critique d’art et romancier français


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