Née en 1965, vit et travaille à Bordeaux, France.

Michel Herreria vit et travaille à Bordeaux, il possède un DEA Art&Communication obtenu en 1992 à l’université de de Bordeaux III, ainsi que une agrégation en Art plastique. Ces oeuvres sont dans les collections de, La Fondation Antonio Pérez Cuenca (Es), la Fondation Cante (Fr), Le Fond d’Art Contemporain du Musée de Pampelune (Es), La Bibliothèque Nationale (département dessin), Madrid (Es), L’Artothèque du Conseil Général de la Gironde (Fr),et L’Artothèque de Pessac (Fr). Il à régulièrement collaboré dans le domaine du spectacle vivant, théâtre et des éditions sont éditées sur son travail, notamment ‘Papeles’ édité par la Fundacion Antonio Pérez, ISBN 84-935573-5-8

Pourquoi dessine Michel Herreria ? . Texte de Patricia León

Pourquoi dessine Michel Herreria ?

Pour rendre visible que le mot erre, non par hasard invité dans son nom, est une conquête : celle d’une langue liée à la pensée. Par le geste. Michel erre avec son crayon, pour nous montrer l’intensité en mouvement et qu’il est possible de bousculer les représentations, de les faire bouger. En cheminant dans son travail, nous entrons peu à peu en relation avec ces hommes qui s’étirent de toutes leurs forces, se recroquevillent, se plient, se courbent, se mettent à quatre pattes, se laissent – ou se font brutalement – traverser par des objets. Ces hommes troués, en cage ou en prison se révèlent, de façon lumineuse, dans la conti- nuité du trait, de l’espace et surtout dans les « objets-prolongations-de-soi », nous faisant ainsi lire et sentir ce que veut dire « se conformer à être des individus représentatifs ».

Dans l’exposition « Ne rien attendre » il faut se laisser traverser par la violence de cette impasse, la vivre en temps réel. Ces peintures sont des cris, elles nous font vivre le monde brutal, étranger de l’homme enchaîné à ses circonstances, mais aussi et surtout de l’homme qui ne trouve pas son chez-soi dans « La maison dépressive de la politique », qui ne peut pas s’accommoder d’être devenu « L’otage des normes », otage du verbe, otage des « Discussions qui ne lui disent plus rien », enfin, otage d’une pensée modelée.

Dans ces peintures, la plasticité, le tiraillement, la couleur s’imposent comme une force : par son propre mouvement, l’homme s’ouvre à respirer le dehors qui l’asphyxie. « Ne rien attendre » c’est résister en acte !
Michel Herreria, oppose à la pensée modelée, la pensée faite des mots-de-lait. Il y a un hors-page qui se dessine dans son travail. Comme en creux, chaque œuvre nous fait sentir la présence d’une perte : celle de l’humain. Dans « Les Ciments » par exemple, la désarticulation, la rupture est physique. Elle invite chaque homme à faire l’expérience de se dépêtrer de ce qui l’empêche d’agir.

Les mensonges sociaux et politiques ne peuvent être questionnés si nous oublions que le saut libérateur est en nous. Ces hommes masqués nous rappellent que, dans le théâtre, le vrai acteur ne porte pas de masque. L’homme est acteur par son jeu, par son pari, par la façon dont il mesure comment il est relié aux autres et aux choses afin de se réinventer. Ainsi peut-il renaître.

Dans « La maison dépressive de la politique » cette main entre le dehors et le dedans ne s’accommode pas de la situation. Elle est la main qui dessine pour se révéler contre le mur des réalités assemblées. Le désir d’affranchissement est dans cette rencontre entre l’écriture et l’image. Cette main n’est pas métaphore de la parole, elle est un « mot–chose », soutenue par une colonne sans fin pour nous dire que le temps de l’attente est fini.

« Ne rien attendre » c’est oser ouvrir sa main avide de promesses. Dans le travail de Michel Herreria, cette main se fait mouvement, peinture, errance pour ouvrir l’horizon…

Patricia León

Sans Réserve . Texte de Romain Salomon

D’un point de vue technique, le terme de RESERVE dans les Beaux-arts définit l’espace laissé vierge par l’artiste.
D’un point de vue géographique, il définit un territoire au périmètre bien précis. D’un point de vue humain, il définit un caractère timide.

Le travail de Michel Herreria prend le contre-pied de ses différentes définitions pour créer une oeuvre sans barrières, sans tabous, sans hiérarchie des genres et des sujets.

Avec beaucoup d’humour, cet artiste est en rapport direct avec la société et ses maux. Il trace une construction de la pensée commune et personnelle par l’intermédiaire d’un personnage apparu sans préméditation. Commun à tous ses dessins et peintures, cet inconscient de l’artiste représente un protagoniste portrai- turé d’un seul trait, simple, inexpressif, sans attributs sexuels, avec une tête bien ronde et un long nez. Représentatif de l’humain, il est positionné et malmené dans des situations publiques et politiques, orchestrées par la pensée de l’artiste.

Par prolongation de ses membres ou en tant que participation active ou passive, son protagoniste est au cœur de machines. Le trader idéologique plein de croyances et de convictions achète et vend des actions. Cet homme est déshuma- nisé, ses échanges sont standardisés au point de le positionner à un degré inférieur à l’industrie. Les fonctions sont inversées, l’humain devient un rouage mécanique et a désormais besoin de la machine pour fonctionner.

Ses peintures sur papier, semblent être réalisées dans une logique de construction où la ligne dessinée et écrite se fait au fur et à mesure de la réflexion. Le langage rendu en partie par l’écrit se traduit par des notes et des listes de mots énumérant ses pensées sur une réalité donnée. Ces annotations importantes pour Herreria sont comme une démonstration sur un tableau noir. Le titre écrit en gros de manière lisible et illisible s’explicite ensuite par un raisonnement logique et illogique à la fois. Les idées se bousculent, sont griffonnées et rayées, se complètent et s’opposent. Les phrases telles que « dérouler le monde », « un discours qui file le monde » et « Rouler le monde » se finalisent par le fileur de compétences.

L’esthétique de la pensée de Michel Herreria est celle d’un questionnement sur la vie. Posée sur le papier, sous la forme d’une ligne fixe ou animée, sa pensée est action. Par sa fonction plastique et théorique, la ligne confère une identité à son dessin. Elle est rature, délinéament des aplats de couleurs et elle sert de lien à différents évènements. Déviant, hors cadre, son art transpire la vie et les faits sociaux.

« Sans réserve », Michel Herreria se trouve donc dans un interstice, en tension entre des propos de constat et/ou de dénonciation purement politique et un art qui manie le climat ambiant de notre société.

Romain Salomon

Les Malentendus . Texte de Louise Grislain

Dessins au trait ou sur carte à gratter, numériques et animés, scénographies, grandes peintures sur papier mais aussi sculptures et environnements : depuis plusieurs années Michel Herreria construit une oeuvre profuse dont la dimension polymorphe n’est pas sans être troublante.

Le trait semble être l’alpha du vocabulaire plastique de l’artiste. Il est souvent rappelé que le dessin et le dessein sont à l’origine un même mot, issu du vocable italien « de-signare » que le français a conservé et transcrit dans le verbe « désigner ». L’acte de définir graphiquement les contours d’une chose et celui de la nommer, de la pointer sont, pour l’étymologie, étroitement liés. L’œuvre de Michel Herreria, et le rôle primordial qu’y joue la pratique graphique, s’accordent en tout cas bien d’une telle définition, tant l’entreprise qui consiste à tenter de circonscrire un certain ordre du monde y est centrale.

Le trait de Michel Herreria décrit souvent un homme, des hommes, figures génériques d’une humani- té noyée dans le flot verbeux du discours. Comme l’indique le titre d’une de ses peintures sur papier, ces hommes sont « évidés » par la violence sourde des rapports économiques et sociaux, pris dans les rouages de machines célibataires telles que les décrivent Deleuze et Guattari « surfaces d’enregistrement, corps sans organes (…) l’essentiel est l’établissement d’une surface enchantée d’inscription ou d’enregistrement qui s’attribue toutes les forces productives et les organes de production, et qui agit comme quasi-cause en leur communiquant le mouvement apparent » et que Herreria évoque de façon récurrente. Les circonvolutions du trait deviennent aussi les cursives des mentions manuscrites qui apparaissent souvent dans l’œuvre de l’artiste. Ces mentions peuvent matérialiser le cheminement d’une pensée en mouvement, en train de s’objectiver dans la constitu- tion du dessin sur lequel elles figurent. Elles sont aussi des adresses, des questions prenant a témoin le spectateur, ou des titres, dénominations souvent ironiques du motif dessiné : tabulateur humain, bloc mangeur d’horizons ou effaceur de mémoire. Ressort privilégié de la dimension humo- ristique de l’œuvre, elle désignent la double identité du langage, à la fois source de plaisir dans son acception littéraire ou comme élément essentiel de la communication entre les hommes et vecteur sournois de l’aliénation servant à masquer les réalités les plus crues.

Il y a, on l’aura compris, dans l’œuvre d’ Herreria, une volonté de déjouer les stratégies du discours, un désir de rendre lisible les lignes de force qui sous-tendent un réel que sa complexité rend difficile- ment appréhendable. Cette entreprise de mise au jour est emblématiquement visible dans la pratique largement utilisée par l’artiste du dessin sur carte a gratter, dont le procédé consiste à faire apparaître par prélèvement de la matière des motifs dans l’opacité étale d’une surface noire.

Car c’est bien dans ses solutions plastiques que l’œuvre d’Herreria puise ses ressources. Nourrie d’un goût pour la logique et la beauté tautologique de la démonstration, elle ne se prive pas des plaisirs d’une pratique graphique ou picturale assumant joyeusement sa subjectivité. Mais quand Herreria s’empare comme dans Silice d’anglet de la forme canoniquement liée a l’art minimal qu’est le cube, il la réalise comme un contentant en verre rempli de sable, ou silice, la matière même qui sert a faire le verre.

Refusant la pureté essentialiste de la concentration sur une pratique unique, Herreria apparaît comme un homme orchestre dont l’œuvre fonctionne par sa nature même comme une parabole de la complexité qu’elle décrit. Fractionnée, foisonnante, elle s’inscrit dans une tradition qui innerve l’histoire du XXème siècle, de Dada aux Nouveaux Réalistes, celle d’un art qui tire l’énergie du renouvellement de ses questionnements plastiques dans une certaine conscience historique. Du paradoxe entre l’impossibilité à circonscrire et dénombrer les éléments du réel et l’adéquation par équivalence d’une œuvre à cette dimension insaisissable naît une tension, peut être le nécessaire combustible de la création.

Louise Grislain

Arène des Langages. Texte de Jérôme Diacre

L’univers de Michel Herreria est peuplé de figures, de personnages, où se mêlent des gestes maladroits, des accidents inféconds ou d’étranges fascinations pour des objets du quotidien… comme en une sorte d’aventure humaine à mi-chemin entre l’étude entomologique et la chorégraphie de spectres étranges et attachants. La couleur est profonde et intense ; elle structure les espaces et les formes. Les lignes, faussement claires, parfois comme en réserve, tracent les pourtours de corps et d’actions indécis. Règne un climat de parodie dans une arène de malheu- reux indolents.

Pour cette exposition à la Galerie Eponyme, Michel Herreria joue avec les échelles et sollicite la précision du regard. Entomologiste : une série de 45 « grandes pein- tures de petits formats » présentent un ensemble de situations dans lesquelles les espaces et les corps surgissent par l’intensité de la couleur. Chorégraphe : 9 pein- tures sur papiers marouflés proposent une expérience plus théâtrale où des corps, des figures s’animent pour un balai dérisoire et mélancolique. Des expérimentations de pliages jalonnent et ponctuent l’exposition : espaces scéniques fixées au mur où se révèle la fragilité et l’élégance d’un jeu de dessins en ombres portées.

Contes philosophiques, peintures pariétales, études pour dispositifs scéniques… les œuvres picturales de Michel Herreria procèdent d’un langage qui murmure plus qu’il ne signifie, qui chantonne plus qu’il ne proclame.

Jérôme Diacre

Un climat de parodie - dans une arène de malheureux . Texte de Jérôme Diacre

Ecrire sur les œuvres de Michel Herreria relève d’une étrange situation. Cela demande de prendre en compte un « double bind » comme le décrit Jacques Derrida ; c’est-à-dire une double contrainte qui oblige, si l’on prend en considération l’un des termes, à remettre cause le second. Quels en sont les termes, alors ? Il se trouve bien évidemment les œuvres elles-mêmes, la singularité des dessins et des peintures, nous allons y revenir longuement. Mais il y a aussi un texte, écrit par Nathalie Quintane sur ces mêmes œuvres de Michel Herreria. Or pour celui qui connait la poésie et les textes de Nathalie Quintane, notamment son incontournable « Les poètes et le pognon », entreprendre d’écrire sur le même objet, sur la même matière, c’est d’une certaine façon hériter d’un bien précieux et chercher à demeurer libre de toute initiative. Envie de faire, envie d’écrire aussi !

« Envie grave » comme on dit… mais aussi forcément admirage, respectance, allégencement. Pourtant, l’avantage de lire et d’écrire sur la poésie et sur des œuvres picturales nous ouvre bien souvent sur des coïncidences : les hasards heureux des œuvres de l’esprit. C’est Derrida qui nous fait signe, d’un geste salvateur, pour saisir ce qui unit les deux injonctions paradoxales : dans son Spectres de Marx, il traite précisément de la puissance magique de l’argent, de la promesse et de la dette, des ombres et des fantômes épris de simulacres, et, citant Timon d’Athènes de Shakespeare, des « putains » et des « proxénètes », c’est-à-dire autant de thématiques abordées par la poète, et d’images qui peuvent être regardées dans les œuvres de l’artiste.

Que dit-il alors de si convainquant pour que nous puissions nous pencher sérieusement à la fois sur le propos de Nathalie Quintane et les oeuvres de Michel Herreria ? Il dit ceci :

« Cette vie s’asservit régulièrement, on peut lui faire crédit (trust) à cet égard, elle se plie infailliblement à la puissance indifférente, à ce pouvoir d’indifférence mortelle qu’est l’argent. Diabolique, radicalement mauvaise en cela, la nature est prostitution, elle s’asservit fidèlement, on peut lui faire ici confiance, elle s’asservit à ce qui est la trahison même, le parjure, l’abjuration, le mensonge et le simulacre. / Qui ne sont jamais loin du spectre. C’est bien connu : l’argent, et plus précisément le signe monétaire, Marx les a toujours décrits dans la figure de l’apparence et du simulacre, plus précisément du fantôme. »

Or qu’il s’agisse du « syndrome de l’algue » dont parle avec un très bel humour Nathalie Quintane à propos des « puissances invitantes » pour des lectures ou des enregistrements de poésie :

« (Faire l’algue : se mouvoir d’avant en arrière et de gauche à droite pour retarder le moment de faire ou de dire quelque chose ; possible par le corps ou par la voix, par exemple au téléphone ; mode de communication relativement courant dans les institutions, qu’elles soient publiques ou privées, qui en font une fonction du langage à part entière) : … ce titre (mouvement d’algue)… vous êtes sûrs… (mouvement d’algue)… c’est que (mouvement d’algue)… ça peut peut-être (mouvement d’algue … choquer notre public (mouvement d’algue)… non vraiment : c’est impossible. ».

ou bien qu’il s’agisse chez Michel Herreria de certaines figures qui se dédoublent, se triplent ou même se quintuplent comme dans un mouvement hiératique, ce sont bien à des spectres fantomatiques, hébétés ou désœuvrés, auxquels nous avons affaire ; simulacres d’individus résultant de politiques culturelles ou économiques pour lesquelles la communication remplace la parole singulière, et les injonctions au bien-être remplacent les désirs véritables. Regardons cette œuvre La voracité politique (2009-2010) : un homme lève les bras au-dessus de sa tête et autour de l’un de ses poignets, une sorte de large matelas simule un carcan mou. Griffonnés, quelques mots surplombent la scène :

« la convoitise du bien-être / une marchandise des politiques culturelles / de la ville / des images ». A côté, presque effacé un autre personnage, peut-être le même, simulacre du premier, a le visage pris dans un complexe mécanisme de roues reliées entre elles par des rubans (de Möbius ?).

« Celui-ci, quelle est son activité ? […] Ceux-ci quelle est leur activité ? […] Et lui, là, est-il un lui, qui a son activité ? […] De même, là, quelle est l’activité ? […] Et cet individu, son activité ? […] »interroge Nathalie Quintane devant ces œuvres.

Il est indéniable que les figures peintes ou dessinées par Michel Herreria sont en pleine action, mais quelle est-elle ? Là, rien n’est certain. Ce sont des visages, des profils plutôt, et des corps, tracés par une ligne faussement claire, qui travaillent ou agissent au service d’un but incertain. En tout cas, ça coule, tout coule même, le fond, les lignes, ça dégou-line… au bas du tableau qui, récurrence dans chaque oeuvre, n’est jamais complété et laisse apparaître des coulures qui trament une frange aussi indélicate que gracieuse. Lassitude peut-être, lassitude de mouvements répétés sans orien-tation ni signification ; à moins que les phrases griffonnés autour des personnages n’indiquent quelques significations d’épuisement, de connexions aussi vaines qu’insurmontables. Des Sisyphe, peut-être ? Plutôt des machines désirantes qui s’épuisent, toussent et dérapent ?

« Ça fonctionne partout, tantôt sans arrêt, tantôt discontinu. Ca respire, ça chauffe, ça mange. Ça chie, ça baise. Quelle erreur d’avoir dit le ça. Partout ce sont des machines, pas du tout métaphoriquement : des machines de machines, avec leurs couplages, leurs connexions. Une machine-organe est branchée sur une machine source : l’une émet un flux, que l’autre coupe. Le sein est une machine qui produit du lait, et la bouche, une machine couplée sur celle-là. La bouche de l’anorexique hésite entre une machine à manger, une machine anale, une machine à parler, une machine à respirer (crise d’asthme). »

Sur fond noir, les personnages se couplent avec des objets, des redoublements d’eux-mêmes, des espaces, des simu-lacres de territoires. Ils hésitent durement. Quelque chose naît pointu – Quelque chose ne s’est point tu dans le silence de ces espaces anguleux – quelqu’un nez pointu. Ce sont des espaces scéniques, un peu comme chez Bacon. Les sujets se meuvent péniblement entre des plans, à l’intérieur de plans et visent des objets avec lesquels ils se couplent. Le mar-ché des assureurs politiques (2010-2011), il se tient devant un micro ; Rien ventriloque de l’Etat (2010-2011), il brandit deux marionnettes de lui-même ; Le fileur de compétences (2011- 2012), il est connecté à des roues et observe un camembert de statistiques ; La politique de l’aligo (2011-2012), il semble englué jusqu’à la taille par un drap, un milieu visqueux, qu’il soulève péniblement – bien plus difficilement que l’enfant peint par Salvador Dali qui « soulève avec précaution la peau de l’eau pour observer un chien dormir à l’ombre de la mer » (1950) ; Le laboureur de besoins (2010-2011), il a une prothèse au bras dont l’extrémité plonge dans une bonbonnière ou un bocal médicinal…

« Ces actions qui transforment la réalité des choses et du sens en même temps qu’elles transforment celui qui les met en pratique, les conçoit et les réalise en un même temps, s’appellent praxis, et appellent à une praxis. Ceci consiste à porter ensemble, en un seul lieu, en un seul moment, en une seule individuation, l’espace, le temps, les personnes […] »

Or d’une manière ou d’une autre, les personnages de Michel Herreria semblent égarés dans un lieu qui ne leur est pas propice, mènent des actions que le sens paraît leur échapper, se rassemblent péniblement autour de leur propre division… Nous ne pouvons que constater l’absence de toute praxis  : le travail, ici, n’est pas une modalité de la liberté d’expression. Et de fait, les agissements sont de courte portée ; l’espace est restreint et les mouvements des corps circonscrits par des gestes simples. Mais l’attention que ces fantômes mettent en oeuvre pour accomplir ces pauvres gestes est étonnante ; elle témoigne d’une énergie qui est là, malgré tout, mal-gré le sens et le non-sens, malgré l’enferment comme pour l’Oiseleur (2011) qui observe précisément l’ombre du fond de sa propre cage. Ainsi c’est au Dépeupleur de Samuel Beckett que nous pouvons penser. Enfermés dans un vaste cylindre, quelques centaines d’êtres cohabitent péniblement en grim-pant à tour de rôle sur des échelles qui mènent à des niches ou des alcôves de repos.

« Le halètement qui l’agite. Il s’arrête de loin en loin tel un souffle sur sa fin. Tous se figent alors. Leur séjour va peut-être finir. Au bout de quelques secondes tout reprend. Conséquence de cette lumière pour l’oeil qui cherche. Conséquence pour l’oeil qui ne cherche plus fixe le sol ou se lève vers le lointain plafond où il ne peut y voir personne. Température. »

Les personnages de oeuvres de Michel Herreria ont fré-quemment le regard vers le sol ou dressés vers des horizons lointains, probablement bouchés. La pataugeoire (2011) place un individu en position dominante ; juché dans une petite baignoire il se penche pour regarder d’autres personnages, des têtes rouges à longs et plats becs ou bien un autre en-core assis dans le vide comme en train d‘écouter une pa-role qui ne vient pas. Ce rouge pourrait faire penser à cer-taines oeuvres de Philip Guston. Mais cet univers est moins décousu : le fond noir délimite un espace clos et précis. Il gagne en profondeur spatiale grâce aux aplats gris et blancs qui contournent sans délicatesse les sujets. La tonalité est certainement plus tragique. Plutôt qu’extraits de Comics, les figures et les spectres de Michel Herreria appartiennent davantage aux hallucinations et aux apparitions d’ordre lit-téraire, disons-le clairement à mi-chemin entre d’un côté la littérature formelle où le sujet et le personnage s’effacent et disparaissent au profit de situations et de voix, et, de l’autre, une littérature plus hypnotique, hallucinée et paranoïaque. Un versant nord et froid donc avec Beckett mais aussi Thomas l’obscur ou Aminadab de Blanchot et un autre plus incandescent, et hypnotique avec Malcolm Lowry ou Interzone de Burroughs. Comme chez les premiers, les spectres du peintre appartiennent au subjonctif, au temps des possibles et des gestes hypothétiques. Mais comme les seconds aussi, ils sont pris dans des cut-up et des syntaxes brutalisées, passent en force et se consument.

Si nous voulons nommer cet esprit, finalement « double bind » tout du long, qui ressort des oeuvres de Michel Herreria, ce serait par les mots de Jacques Darras, dans son étude de l’oeuvre de Malcolm Lowry intitulée « la nostalgie du monde » lesquels apportent sans doute la meilleure formule : « Ecrivain prisonnier de ses romans, maquette enfermée dans sa bou-teille, alcoolique noyé définitivement au fond de ses alcools, quelque soit l’image choisie, le sentiment sera toujours d’une intolérable oppres-sion en même temps que d’un climat de parodie. C’est là qu’intervient la « ruse » du romancier »… et reconnaissons-le, la vraisemblable ruse de Michel Herreria.

Jérôme Diacre

> Consulter l’intégralité de l’article de Jérôme Diacre paru au sein de la revue Laura 22, mai-octobre 2017 – version pdf

Effranger Le Monde. Texte de Jérôme Diacre

Les œuvres de Michel Herreria apparaissent d’abord sur ce fond noir, pas totalement opaque, mais mat et dense, parfois comme une sorte de quadrillage en nuances de gris. De là, les personnages prennent place, se distinguent par une ligne blanche, rarement claire. Les profils comme les gestes sont vibratoires, hésitants, imprécis. Les personnages eux-mêmes sont troubles, doubles, triples… ils se confondent. Ils regardent autour d’eux, lèvent la tête pour observer ou écouter. D’autres, plus imposants mais plus imprécis s’adressent à eux en se penchant. Grosse tête qui parle à de plus petites. Jeu de domination, d’informations qui circulent, d’injonctions, prescriptions, sermonts prononcés… Théâtre du quotidien, arêne de travailleurs envahis par un « impitoyable esprit de sérieux » dont Theodor Adorno (Minima moralia) rappelle qu’il soutient le déploiement d’« activités de façade ». Michel Herreria de cesse de superposer des plans, plan colorés qui entourent et divisent de sombres acteurs. Activités de façade, de médiations, de médiations de médiations… La vie moderne ; notre vie moderne.

Et puis viennent les couleurs dont on pourrait dire qu’elles appartiennent à celles du Moyen- Âge. Cette vivacité qui se détache d’un fond inexorablement noir est saisissante. Elle rappelle les enluminures, miniatures de scènes figurées, d’images insérées, cartouches et bandeaux. Le rouge, le bleu, l’orangé et le vert dominent. Respectivement oxide de plomb, l ‘oxyde de cobalt, le mercure, l’arsenic, le cuivre… toute une chimie dont Michel Herreria reprend les codes.

Les peintures sur papier de Michel Herreria déroulent des espaces infinis, dont « le centre est partout, la circonférence nulle part » comme l’écrit Pascal (Pensée I). Personnages en prise avec leurs vaines prétentions, soumis à des injonctions qui relèvent de leur propres imaginaires, se débattant comme de pauvres diables dans le magma inconsistant de la réalité sociale… cette étrange satire qui nous est présentée ici ressemble à une suite de stations, stations de nos passions, de nos errances quotidiennes.

« Effranger le monde », c’est laisser couler, ruisseler depuis les miniatures qui se dispersent comme des centres perdus dans un espace infini… jusqu’au bord du plan ou de la page. Peindre c’est écrire, écrire c’est aussi peindre d’une certaine façon. C’est en tout cas ouvrir les pages d’un étrange roman, roman moderne dont le héros, face au monde infini, n’a plus que ce seul tourment « de la créature condamnée à être seule et qui se consume en quête d’une communauté » (Lukacs, Théorie du roman)

Jérôme Diacre